La thèse de Tarot-Tesnière
Jean-Claude Dumoncel,
Archives de sciences sociales des religions, 148 | 2009, 65-71.
Un article fondamental car il évoque le religieux, et l’origine du bouc émissaire, entre rite et mythe…
« Nous appellerons thèse de Tarot-Tesnière la thèse affirmant que les mythes sont des drames de Tesnière à décrire dans une Morphologie du Mythe de même que les rites sont des drames de Mauss à penser comme «performances» d’Austin. »
Il y est écrit :
« Dans le Lévitique (XVI), Yahvé prescrit qu’Aaron reçoive de la communauté deux boucs dont un tirage au sort choisira l’un pour Yahvé, l’autre pour le démon Azazel. Le bouc voué à Yahvé sera tué en expiation «pour le péché», l’autre sera chargé de tous les péchés du peuple et lancé dans le désert. L’un est dit bouc «expiatoire», l’autre bouc émissaire. L’un est sacrifié, l’autre exilé. Cuvillier (1962: §169) décrit le rite du bouc émissaire comme l’«adoucissement probable d’une coutume plus ancienne où un individu était choisi comme victime expiatoire et chargé de tous les péchés du groupe». La double prescription contient déjà une double substitution symbolique. D’une part, la mise à mort est commuée en exil. D’autre part, le paiement de la faute est remplacé par son déplacement. L’intérêt de l’interprétation notée par Cuvillier tient à ce qu’elle inscrit cette double substitution littérale dans une substitution latente où le bouc a été substitué à une victime humaine telle que les esclaves dont parlait Mauss. Mais à travers cet emboîtement de substitutions, une constante se maintient, c’est que la prétendue «expiation» consiste à faire expier le péché des uns par un autre qui n’y est pour rien, esclave ou bouc, tué ou exilé. »
Plus loin :
« Discutant Frazer, Hubert et Mauss présupposent pour définir «le rôle» du «bouc émissaire» la capacité d’«emporter avec lui la maladie, la mort, le péché» (1899: 196). Or il y a un abîme entre se charger du fardeau moral (moral burden) de la faute et emporter au diable la maladie et la mort. Dans le premier cas, le Bouc biblique suffit. Dans le second, il faut au minimum avoir un souffre-douleur. Du point de vue théorique, ou bien nous territorialisons sur le Lévitique, ou bien nous en faisons comme Girard un morceau de mandala, sinon le Mandala des Mandalas. »
Plus loin encore :
« Chez Deleuze et Guattari (1980: 169, 146-147) le bouc expiatoire et le bouc émissaire sont respectivement les termes 5 et 6 d’un Schéma de la Sémiotique Signifiante où le terme 4 est «le développement interprétatif du signifiant en signifié». Mais quel est le signifiant dont cette interprétation cherchera le signifié? Dans le rite du Bouc émissaire interviennent en amont deux acteurs qui ne sont autres que Yahvé et Azazel. Or, ces deux acteurs incarnent deux actants qui sont ici le dieu et le démon. Ce ne sont pas comme chez Pirandello des «personnages en quête d’auteur» mais des acteurs de Tarot en quête de leur drame de Tesnière. Autrement dit, ce sont des acteurs de rite en quête du mythe dont ils seraient les actants. Comme «Azazel» est ici un «signifiant flottant» au sens de Lévi-Strauss (1950: XLIX) nul doute que les mythes ne manqueront pas à l’appel. Il est notoire que le premier Henoch et l’Apocalypse d’Abraham s’offrent ici à remplir la place du mythe manquant dans le canon biblique pour son rite avéré. »
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