LE LIVRE DE POCHE,
Le bouc émissaire
DAPHNÉ DU MAURIER
ROMAN TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR DENISE VAN MOPPÈS
Le bouc émissaire, Daphné du Maurier,
traduit de l’anglais par Danièle Van Moppès,
Editions Phébus, Paris, 1996, 375p.
En 1ère édition sous le titre, The Scapegoat, publié en 1957
Puis publié en français sous le titre « Le bouc émissaire », Paris, Albin Michel, 1957 ;
Réédition, Paris, Le Livre de poche no 1334, 1965 ; puis réédition, Lausanne, Éditions Rencontre, 1972 ; puis réédition, Paris, Phébus, 1995 ; réédition, Paris, Phébus, coll. Libretto, 2003 ; puis réédition dans L’Ombre des secrets, Paris, Omnibus, 2010
Le résumé proposé par le livre de poche :
John, un historien anglais en vacances en France, rencontre au Mans par hasard son sosie parfait, Jean de Gué. Les deux hommes font connaissance : l’un est solitaire, sans famille, l’autre, épicurien désinvolte, se plaint de la sienne qui l’étouffe. Le lendemain matin, John se réveille, vêtu des affaires de Jean, qui a disparu. À la porte, le chauffeur l’attend pour le ramener au château. John prend alors la place de Jean… Comme dans Rebecca, on retrouve dans ce livre la cruauté, l’étrangeté et l’art du suspense de Daphné du Maurier.
« Une œuvre plus ambitieuse et plus riche qu’il n’y paraît, possédée par les thèmes du bien et du mal, de la rédemption et de l’identité. » (Christine Jordis, Le Monde)
Le résumé proposé par le livre d’après :
John est un Anglais d’âge mûr, célibataire, qui enseigne le français dans une université anglaise et passe toutes ses vacances en France, pays auquel il voue une vraie passion, à tel point qu’il regrette de n’y être qu’un étranger. En effet, bien qu’il parle un français parfait, John souffre de ne pas pouvoir être considéré comme un Français.
John se trouve à un âge où on fait le point, moment douloureux pour lui qui ne sait pas quoi faire de sa vie. Il décide d’aller chercher une réponse à ses questions à l’abbaye de la GrandeTrappe où il compte séjourner quelques jours. De passage au Mans, il fait une rencontre étonnante, avec un Français qui lui ressemble en tous points : même stature, mêmes yeux, même sourire. Un véritable double qui, de surcroît, se prénomme Jean.
Après les présentations, Jean de Gué propose à John de partager un repas. Il lui parle de sa vie de châtelain et de sa famille qui l’étouffe et lui propose finalement d’échanger leurs vies, puisque leur ressemblance, digne de vrais jumeaux, le leur permet. John n’a pas le temps de réfléchir à cette proposition : Jean de Gué le fait boire et John se réveille seul le lendemain matin ; Jean de Gué a disparu, emmenant les vêtements de John, mais lui laissant ses affaires. Le chauffeur du Conte de Gué arrive et conseille à celui qu’il croit être son patron de rentrer au château où il est attendu.
John n’a plus qu’à enfiler les vêtements de Jean et à suivre le chauffeur, très étonné que celui-ci l’ait pris pour son patron. Il se rend donc au château où il fait connaissance avec la famille qui l’interroge sur son voyage à Paris, pensant avoir réellement affaire à Jean de Gué. John laisse entendre qu’il a réussi à négocier un contrat qui était primordial pour l’avenir de la verrerie familiale.
Il apprend peu à peu à connaître « sa famille », découvre sa femme, sa mère, sa fille, sa belle-sœur -avec qui il a une liaison- et même sa maîtresse, Bela, qui habite dans la petite ville de Villars. Il se fond dans cette vie, avec beaucoup de difficultés et de questions, tandis que la famille, quant à elle, n’y voit que du feu. La pression est palpable et l’on se demande comment John se sortira de ce mauvais pas. En effet, s’il s’est d’abord accommodé facilement de l’ occasion de devenir un vrai Français, John se rend compte qu’il a endossé la vie d’un personnage opportuniste peu soucieux des autres. Néanmoins, doté d’un caractère à l’opposé de celui de Jean de Gué, il a le souci de bien faire et la volonté de résoudre les problèmes de la famille et de la verrerie, dus en grande partie à la désinvolture de Jean de Gué.
Le bouc émissaire a été publié alors que Daphné du Maurier était déjà célèbre grâce à Rebecca. On y retrouve un univers familial assez malsain, autour de relations humaines complexes. L’intrigue est située dans la Sarthe, région dont le grand-père de Daphné du Maurier était originaire, et que la romancière avait visitée peu de temps avant d’écrire ce livre. On ressent également dans le roman le poids de l’histoire et notamment celui de la Seconde guerre mondiale avec l’évocation de la Résistance et de la Collaboration, dont on parlait encore très peu en 1957.
Même si le suspense et la tension ne m’ont pas paru aussi forts que dans Rebecca, Le bouc émissaire est un roman très prenant autour de la question de l’identité, et de la notion de bien et de mal dont John et Jean sont chacun un représentant. Un roman psychologique à ne pas manquer, plein de noirceur coupable et de rédemption, comme peut l’être l’âme humaine.
Ce qu’en dit le blog « Un chocolat dans mon roman » :
Comme souvent , Daphné du Maurier explore les tréfonds de l’âme et propose un portrait de famille dans lequel le thème du double a toute sa place. C’est le problème de l’identité qui est soulevé, car alors que John se rêvait français, en connaissant la culture et l’histoire, cette possibilité lui est offerte.
J’ai cru que le récit allait dévier sur le fantastique à l’apparition du sosie. mais il n’en est rien et c’est l’ancrage dans la réalité qui produit d’ailleurs une ambiance étrange. Le lecteur n’a de cesse de se demander si John va être reconnu ou s’il va clarifier son identité. Néanmoins, se sentant lui-même exclu en quelques sortes, il va jouer le jeu et entrer dans cette famille, jusqu’à y laisser son empreinte. Il y découvre alors l’attitude détestable de son double, les maitresses qu’il accumule, la vie de débauche qu’il mène.
Tous les indices sont placés de sorte que la situation paraisse plausible. C’est d’ailleurs ce qui fait froid dans le dos. Comment la propre fille de Jean de Gué pourrait-elle ne pas le reconnaitre ? C’est que leur relation, étrange, matinée de religion, était dictée par la petite à la maturité surprenante. Un univers particulier relie père et fille, que la gamine dirige. Il ne reste plus à John qu’à se laisser porter, à entrer dans le jeu. On se demande même si certains personnages n’ont pas compris et jouent tout de même le jeu.
La vie familiale s’organise autour d’une verrerie que les temps modernes envoient à la faillite. Jean de Gué semble avoir résolu de vendre l’affaire, de ne plus faire vivre la famille et les ouvriers. Pourtant, John va entreprendre, à la fois par naiveté et par ambition, de relever l’entreprise familiale, à la surprise de tous. Ressurgissent aussitôt des drames passés qui expliquent les comportements actuels, mais qui ne peuvent entraver les actions de John puisque lui ne sait rien de ce passé marqué par la guerre.
A ce jeu, le lecteur devient aussi un voyeur qui sait que ce n’est pas le vrai Jean de Gué qui évolue au manoir. Il ouvre les tiroirs avec lui, découvre les secrets de famille. C’est cette position à la limite malsaine qui nous fait ressentir une étrange sensation à la lecture du récit. Néanmoins la différence entre les deux sosies ne faisant aucun doute, on espère que la fin sera heureuse …
Pourtant, on se laisse vite happer par ce genre de farce et, alors qu’il ne sait pas ce que fait Jean de Gué, s’il a pris sa place, s’il a choisi de vivre une autre vie, John entre peu à peu dans la peau d’un autre, apprécie cette nouvelle vie, découvre des secrets de famille qui peuvent expliquer l’aversion des autres membres de la maison pour lui et ne pense pas un seul instant que le véritable Jean de Gué pourrait réapparaitre…
C’est là tout le talent de Daphné du Maurier.
Une lecture que je vous recommande.
Ce qu’en dit le blog » Quel Bookan ! » :
John, professeur d’histoire à Londres, s’apprête à retourner au pays, le vague à l’âme. Il s’arrête au Mans et là, tombe sur son sosie, Jean de Gué. Les deux hommes font connaissance, John est troublé par ce visage tellement identique au sien que lui renvoie Jean de Gué. Ce dernier, riche aristocrate, cherche à fuir la pression familiale et lui propose, après une soirée bien arrosée, d’échanger leurs habits, pour voir.
Le lendemain, Gaston le valet et chauffeur du Comte de Gué, se présente pour le ramener au château.
John comprend alors que son double lui a joué un drôle de tour.
Roman à suspens, Le Bouc émissaire m’a tenue en respect et en haleine tout au long de ma lecture.
John qui quelques heures avant constatait que jusque-là sa vie était vide de sens, se retrouve soudainement pris au piège dans l’identité de Jean de Gué. Mais, parce qu’il vibre enfin d’un je-ne-sais-quoi, il se plie au rôle que son sosie lui a imposé et va se laisser prendre au jeu.
Un peu perdu, un peu grisé par la situation mais très inquiet quand même, le petit professeur d’histoire se laisse d’abord porter par les évènements et les gens qu’il rencontre. Il observe avec circonspection ce monde dans lequel il évolue et qui est si loin du sien, toujours étonné que personne ne l’ait encore confondu, profitant cependant parfois de la situation.
John va rapidement déchanter en réalisant surtout qui est véritablement Jean de Gué, à priori un homme sans conscience, égoïste, débauché même. il ne pourra que constater le mal fait et les problèmes laissés en héritage dont il doit maintenant se dépêtrer.
Un drame va finalement changer la donne et le lecteur, respirant un peu, se dira que John s’en tire finalement bien et avec les honneurs. Mais c’est sans compter la malice de l’auteure, qui amène un dernier rebondissement qui, bien qu’attendu, n’en est pas moins fort.
Encore une fois, Daphné Du Maurier maîtrise à merveille son intrigue, sa narration. Le lecteur est comme John forcé de subir la tension dans laquelle est son personnage, de reconstituer avec lui le puzzle du passé. Parviendra-t-il à donner le change jusqu’au bout, réussira-t-il à résoudre les problèmes auxquels il doit faire face en lieu et place de Jean de Gué, rétablira-t-il l’entente là où ne règne que discorde, assumera-t-il ce qui n’a pas été assumé, fuira-t-il lâchement comme celui qu’il incarne? Enfin, sera-t-il démasqué et par qui? Bien des questions qui maintiennent le suspens et l’intérêt pour cette histoire jusqu’à la dernière ligne.
Le Bouc émissaire, c’est outre une histoire qui porte sur le double et l’imposture, aussi le jeu des relations humaines, leurs influences et conséquences. Le lecteur plonge à travers le regard de John dans le cœur de chacun des personnages. Certains nous inquiètent, d’autres nous intriguent, quelques-uns nous fascinent comme d’autres nous pèsent, aucun n’est accessoire.
Les lieux eux-mêmes, telle la verrerie, s’imposent par l’histoire et les drames qu’ils portent. Il est d’ailleurs à noter que l’âme des absents plane avec force sur le roman. Jamais absent n’aura été aussi présent.
L’avis de « Missmolko1« :
Vous connaissez mon amour pour Daphné du Maurier, alors quand j’ai découvert sur livraddict une lecture commune sur Le bouc émissaire, organisée par unchocolatdansmonroman, forcement, je me suis inscrite.
Le roman se déroule en France dans les années 50. John, un anglais, est en vacances en France, il est prof universitaire spécialiste de l’histoire de France. Il est seul, paumé, a l’impression d’avoir raté sa vie. Quand soudain, il rencontre Jean, son parfait sosie. Ils boivent beaucoup et le lendemain, John découvre que Jean a disparu, il se voit contraint de prendre sa place… Il arrive donc dans une famille aristocrate ou l’atmosphère est tendue. Il y a des secrets, des non-dits depuis des années et même si John commet quelques impairs, je dois dire qu’il se débrouille plutôt bien. Il va tout faire pour rendre heureux les gens autour de lui mais une tragédie se prépare dans l’ombre.
C’est un excellent roman comme tous ceux de l’auteure mais, je dois avouer que j’ai eu un peu de mal a rentrer dans l’histoire, a mémoriser tous les noms et les personnages que l’on croise. Une fois l’intrigue mis en place, tout s’arrange, jusqu’à cette fin que je n’avais absolument pas imaginé….
L’avis de « NORTHANGER« :
« Un livre fascinant que l’on ne peut pas poser – ou dans mon cas, éteindre…- avant de l’avoir terminé… J’ai trouvé la psychologie du protagoniste assez subtile. D’emblée, il se montre tourmenté, victime d’une sorte de dualité : « Mais quelqu’un en moi appelait au secours. Cet être intérieur, comment jugeait-il mon œuvre misérable ? […] J’étais si habitué à lui refuser la parole que son caractère m’était inconnu ». C’est une chance pour lui de repartir à zéro d’une certaine façon, ou en tout cas, d’explorer les possibles qui s’offrent à lui alors que son existence propre lui semblait vaine. Et de fait, il est d’abord saisi par l’ivresse de voir ces actes dénués de conséquence pour lui-même, du moins le croit-il au début. « Bouc émissaire », le voilà chargé de toute la culpabilité de Jean de Gué, tributaire de ses mesquineries passées, de son irresponsabilité, voire de ses actes criminels… Charge à lui de redresser la barre et de découvrir, grâce à la vie d’un autre, sa propre identité et surtout, le sens qui manquait à la sienne… « Manger, boire, ouvrir un journal devenaient soudain des actions intéressantes parce que ce n’étaient pas les miennes mais celles de Jean de Gué. »
Par une sorte de jeu de miroir, le lecteur se glisse dans la peau d’un personnage qui apprend lui-même à découvrir sa nouvelle identité. C’est assez grisant car pendant que le narrateur « se » découvre, le lecteur apprend à le connaître lui, à travers ses efforts pour s’adapter à sa nouvelle vie, d’autant plus qu’il est très différent de Jean de Gué. « Il était mon ombre ou moi la sienne, et nous étions liés l’un à l’autre pour l’éternité. » De même que John, le lecteur mène une enquête discrète pour apprendre à identifier les différents membres de la famille et les liens qui les unissent. En effet, de célibataire qu’il était, John se retrouve chef d’une famille aux relations pour le moins complexes et ambiguës et va devoir faire de son mieux pour y trouver sa place…
C’est aussi une délicieuse promenade dans une France surannée. La description du décor est soignée et particulièrement évocatrice, ce qui fait que l’on se projette facilement dans le domaine et ses alentours. « Le soleil se coucha derrière nous, et la campagne où nous nous enfoncions vers l’est nous enveloppa dans le silence des forêts. Les fermes isolées se dressaient comme de brumeuses oasis au milieu des champs rougeoyants. Les arpents de terre s’étendaient avec la vaste magnificence d’un océan inexploré, et les fougères dorées comme des chevelures vierges bordaient le chemin qui ondulait entre les arbres. »
La fin peut décevoir, on s’attendait certes à autre chose. Pour ma part, je trouve cependant qu’elle correspond à l’état d’esprit du personnage qui a tendance, par moments, à se laisser porter par le cours des événements.
Une lecture marquante en tout cas ! »