chapitre 7 du livre Bouc émissaire : le concept en contextes
Le bouc émissaire en proie aux stéréotypes, préjugés et discriminations.
Préambule
Françoise-Marie NOGUES, Rémi CASANOVA
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« Rappelons pour commencer l’étymologie du terme : à partir des deux mots grecs stereos (solide) et tùpos (empreinte, caractère), on comprend la profondeur de l’ancrage des stéréotypes. Alors ne faudrait-il pas se méfier d’une confusion possible entre stéréotype et préjugés ? »
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« Les stéréotypes girardiens deviennent autant d’analyseurs des contextes et situations. Et il convient alors d’appliquer cette grille à des cas pratiques, quelle que soit l’époque, quelle que soit l’institution, quels que soient les acteurs concernés. »
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« À la différence du stéréotype, généralisation qui peut être positive[1], le préjugé est globalement négatif en termes de valence[2], même s’il existe des exceptions. Enfin, le terme de discrimination, dans son appartenance à la sociologie des inégalités, correspond à un comportement négatif non justifiable produit à l’encontre des membres d’un groupe donné. »
[1]Par exemple : « les Corses sont hospitaliers ».
[2]Par exemple : « les Corses ne sont pas aimables ».
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Le stigmate linguistique du bouc émissaire. Victor Klemperer et l’analyse du langage antisémite dans le national-socialisme,
Sepp ARVI
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« « Le Juif », comme une incarnation biologique de la cible de l’esprit de la modernité, devient le point focal de l’idéologie nationale-socialiste : grâce à l’effet « purificateur » de l’extermination du « Juif », la technologie serait mise au service de la nature comme une force enfin libérée et renouvelée. »
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« Klemperer vit sa classification typologique dans la catégorie raciale de « Juif » comme un stigmate dégradant et son expérience de discrimination de plus en plus importante peut se lire dans ce sens, selon les mots de Hilarion Petzold « comme un chapitre d’une théorie appliquée du stigmate » (1996, p. 396). »
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« Comme Butler le souligne, en s’appuyant sur Althusser, la blessure linguistique provient des formes d’adresse qui interpellent le sujet et le construisent comme tel. L’interpellation ou la catégorisation comme « le juif » représente l’exclusion sociale du sujet et sert d’élément clé dans sa destruction. »
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Le bouc émissaire et le motif du transfert. ; l’auto-accusation du Juif réprouvé chez Georges Méliès (1904-1905),
Sylvain LOUET
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« Qui plus est, quand il est humain, le bouc émissaire, fait de subjectivité et de conscience, peut en venir à opérer lui-même un autre transfert. Certes, un bouc émissaire est bien l’objet d’une accusation qui l’atteint depuis l’extérieur, et lui fait endosser la responsabilité d’une faute qu’il n’a pas réalisée, ou n’a pas commise seul, en vue de l’expiation de péchés, individuels ou collectifs. Il n’en reste pas moins que, fréquemment, sa représentation le montre aussi sujet de l’accusation, quand il s’accuse ou se met en situation de devoir être accusé. »
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« Dans Le Juif errant, un vieillard erre dans la campagne qui représente un paysage escarpé. Le décor dénote l’influence de Gustave Doré. En effet, dans La Légende du juif errant (Dupont, 1856), les illustrations de l’artiste mettent moins l’accent sur l’action (comme le fait l’imagerie traditionnelle), que sur les paysages fantasmagoriques au sens premier du terme, puisqu’ils servent d’écran et de support aux projections mentales coupables qui poursuivent Ahasvérus. »
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« Le bouc émissaire est bien le pharmakos, ici un poison lubrique et un remède qui enrichit l’alchimiste et fait de lui le héros de la communauté qui se forme après le rejet. Selon la Bible (Lévitique, XVI), chaque année la communauté d’Israël faisait disparaître les impuretés en les transférant symboliquement sur un bouc lâché dans le désert. Schylock semble avoir les traits de ce bouc jugé sale et impur, comme le suggère son encombrante sexualité. Par son départ, Schylock rejoint la figure d’un autre bouc émissaire célèbre, le Juif errant. »
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