Stéréotypie, stigmatisation et bouc émissaire au cœur des dispositifs médiatiques contemporains,
l’exemple de TPMP
une contribution rédigée par Sophie Jehel
dans le chapitre Inscrire le bouc émissaire dans le champ de la violence ?,
chapitre 1 du livre Bouc émissaire : le concept en contextes, dirigé par Rémi CASANOVA et Françoise-Marie NOGUES,
publié aux PUS, en novembre 2018
Le texte commence par ceci :
« L’objet de ce chapitre sera de mettre en évidence, comment certains dispositifs médiatiques contemporains valorisent des modalités de communication qui reposent sur la stéréotypie, la stigmatisation et l’élimination réelle ou potentielle. Ces formes de communication nourrissent des processus de boucs émissaires qui peuvent ensuite alimenter par mimétisme ou renforcer des processus de violences interindividuelles qui sévissent en particulier sur les plateformes numériques (Jehel, 2016 ; Centre Hubertine Auclert, 2016).»
et se termine par ceci :
« L’émission n’est pas la première à utiliser le processus du bouc émissaire et le consentement au harcèlement au cœur de son fonctionnement, il s’agit au contraire d’un processus très présent dans les émissions de téléréalité (Jehel, 2012), mais elle va plus loin en soudant la communauté de ses fans dans le rejet des critiques énoncées au nom d’une norme antidiscriminatoire, faisant de ceux qui rappellent cette norme ses véritables boucs-émissaires. Elle promeut ainsi un lien groupal qui réfute les lois de la société globale qui cherchent précisément à garantir la pacification des mœurs. Les trois lourdes sanctions prononcées en juin et juillet 2017 par le CSA ont cependant conduit la chaîne à modifier un peu sa stratégie et à se rapprocher d’un modèle de talkshow plus classique, en conviant de nouveaux chroniqueurs disposant d’une forme de respectabilité éthique, anciens membres du CSA ou militante de la cause féministe[1]..»
On y trouve notamment :
« L’acceptation du chroniqueur n’enlève rien à l’humiliation de son personnage, ni à l’homophobie sous-jacente à la séquence des nouilles, et il est difficile de prétendre qu’elles n’atteignent pas également sa personne.»
« Le recours aux stéréotypes sexistes ou homophobes se présente comme une forme de libération vis-à-vis du « politiquement correct » imposé par les élites, comme une mise en dérision des fonctionnements moraux et institutionnels, libérant les digues de la civilité au nom d’un parler populaire, dont il offre une caricature.»
« Le positionnement de TPMP est celui du divertissement, mimant notamment une forme de revanche sociale à travers le couple Hanouna-Delormeau. Il peut s’interpréter ainsi à partir de nombreuses interactions pendant lesquelles l’animateur manifeste une forme de solidarité vis-à-vis des classes populaires et de leurs origines multiculturelles.»
Sophie Jehel
MCF en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris 8-Saint-Denis, chercheure au CEMTI. Ses études portent notamment sur la socialisation des jeunes par les médias. Elle a dirigé en 2016 Stéréotypes, discriminations et éducation aux médias, avec Laurence Corroy. Elle s’intéresse également aux enjeux sociétaux des émissions de téléréalité. Sophie.jehel@univ-paris8.fr; https://cemticritic.eu/sophie-jehel/ ; http://expertes.eu/expertes/sophie-jehel/.
[1]Telle était du moins la conclusion de l’enquête de C. Truong, « Hanouna s’est-il normalisé ? On a regardé » publiée sur le site Arrêt sur images le 22 janvier 2018.