Sur un papyrus contenant des fragments d’Hipponax (P. Oxy. XVIII. 2176) : pharmakos et bouc émissaire

une contribution d’Olivier MASSON, dans Revue des Études Grecques,

en son tome 62, fascicule 291-293, de Juillet-décembre 1949, des pages 300 à 319,

qui traite du pharmakos et, directement ou par analogie, du bouc émissaire.

Un texte qui, évoquant le pharmakos mérite une mise en perspective avec le bouc émissaire

Un texte qui, évoquant le pharmakos mérite une mise en perspective avec son cousin, le bouc émissaire

Le texte commence ainsi :

I. — Les Épodes d’Hipponax.
En étudiant le problème des « Épodes de Strasbourg », je- signalais en 1946 les épodes d’Hipponax qui nous ont été révélées par un papyrus d’Oxyrhynchos (1). L’accord est maintenant général sur le principe : les fragments de commentaire sur un poème d’ Hippomax qui figurent dans le P. OXY. XVIII. 2176 contiennent des lambeaux d’épodes. A la suite des suggestions du savant éditeur anglais, M. E. Lobel, mais indépendamment de MM. Ed. Fraenkel et P. Maas (2), M. Kurt Latte vient d’écrire un article intitulé « De Hipponactis Epodo » (3). Il arrive à la même conclusion : « Habemus igitur epodum. Quod genus carminum Hipponacti nusquam tribuitur, sed hanc formam centum post Archilochum annis vulgatam fuisse facile credimus ». Je crois utile aujourd’hui de revenir sur certains points, en tâchant de mettre en pleine lumière les fragments d’Hippomax que l’on peut retrouver dans notre papyrus, au sein du commentaire (1).

Le texte se termine ainsi :

En conclusion, il semble que l’on puisse admettre dans le papyrus récemment publié la présence de détails intéressants relatifs au supplice du pharmakos : une des épodes d’Hipponax aurait eu ainsi pour sujet ce rituel, déjà évoqué ailleurs dans l’œuvre du poète.

Le texte évoque un personnage du nom de Pharmakos :

Ce fait peut encore, me semble-t-il, nous orienter vers Boupalos. On sait qu’Hipponax avait souhaité à son ennemi le sort d’un « bouc émissaire » et qu’il avait complaisamment
décrit les tristes aventures de ce pharmakos. Or, dans certains cas le pharmakos paraît avoir été assimilé à un sacrilège.
La légende aitiologique qui a été conservée par l’historien Istros (4) racontait qu’un certain Pharmakos avait été lapidé pour avoir dérobé des coupes sacrées appartenant à Apollon : de là venait le rite de l’expulsion et de la lapidation des pharmakoi.

L’auteur lie bouc émissaire et pharmakos :

On voit que dans ce fragment il s’agit d’un ennemi du poète, accusé d’une voracité extraordinaire et voué à la haine du peuple, afin qu’il soit, lapidé au bord de la mer (3). Il semble que le thème du pharmakos, du « bouc émissaire », revienne ici, traité sous la forme nouvelle des hexamètres parodiques (4).

L’auteur lie bouc émissaire et pharmakos :

En éditant le huitième fragment du morceau de commentaire sur Hipponax que nous a conservé le papyrus 2176 d’Oxyrhynchos, M. Lobel a signalé qu’il pouvait contenir
quelques allusions au rituel du « bouc émissaire » ou pharmakos, que nous connaissons bien par d’autres passages d’Hipponax. Mais l’éditeur anglais n’émet cette hypothèse qu’avec beaucoup de prudence, car, d’après lui, « much of the detail does not exactly agree with that is elsewhere recorded ».
D’autre part, M. Latte, dans l’article cité (l), rejette toute allusion au pharmakos, en alléguant qu’il est question d’un mort dans le papyrus, tandis que les victimes expiatoires
n’auraient jamais été mises à mort. Il s’agirait d’un supplice capital : « quamobrem haec verba potius de capitis damnato accipienda sunt, qui in |3άραθρον abicitur, ut Atticum morem conféra m ».

L’auteur évoque la fin du pharmakos :

Revenant maintenant au papyrus, je me demande si l’on ne pourrait éclairer l’un par l’autre le fragment de commentaire — contenant lui-même des bribes empruntées à un poème
iambique, vraisemblablement à une épode — et le fragment parodique que nous venons d’étudier. Je crois en effet que l’expulsion du pharmakos était suivie de sa mise à mort — du moins en Ionie et à date ancienne (1).

A travers cet extrait, l’auteur montre la complexité et la diversité des pratiques relatives au pharmakos :

(1) Je laisse de côté la question très controversée de la mise à mort du pharmakos à Athènes. Cf. V. Gebuard, l. c, p. 43-48; et PW, RE, s. v. Tliargelia 1292, Π sqq.; 1293, 3-44.

A travers celui-ci aussi :

« A la fin, ils brûlaient [le pharmakos] sur un bûcher de branches sauvages et dispersaient au vent les cendres, au-dessus de la mer ».
Comme ce passage n’est pas appuyé directement sur des vers d’Hipponax,’ on a supposé qu’il représentait un produit de l’imagination de Tzetzès, égarée par un rapprochement superficiel avec les vers 1141 et suivants de Y Alexandra de Lycophron, qu’il cite ici-même (738 sq.). Cette hypothèse, soutenue notamment par V. Gebhard (1), a été combattue par Pfister (2).
Selon ce dernier, il faut faire confiance à Tzetzès, qui cite Lycophron seulement à titre de parallèle. Les lexicographes signalent sans ambiguïté la mise à mort du pharmakos (3).

Avec des propos très explicites dans ce passage :

Le texte de Tzetzès est trop concis; il ne nous dit pas expressément que le pharmakos était lapidé (4) et qu’ensuite son cadavre était brûlé. Mais rapprochons Tzetzès, le fragment 77 D d’Hipponax et le fragment de commentaire : on obtient alors, me semble -t-il, un ensemble cohérent :
La lapidation : elle est suggérée par 77, 3 όπως ψηφίο ι οληται et paraît être confirmée indirectement par le fragment 32 D : Boupalos avait sans doute lui-même menacé Hipponax du sort d’un pharmakos, puisque le poète nous dit : έκέλευε βάλλε ιν και λεύειν Ίππώνακτα « II donnait l’ordre de frapper et de lapider Hipponax ».
La scène doit se passer au bord de la mer : nos trois sources sont d’accord. Tzetzès, τον σποδον εις θάλασσαν έ’ρραινον ;

Et des pistes éclairantes, mais hypothétiques, concernant ce qui suit la mort du pharmakos, par incinération :

On supposerait ainsi que, au cours du troisième jour, on emportait le cadavre, comme pour une έκψορά normale (2) — mais après une proclamation du héraut : …ην]εγκεν αύτον τριταίο [ν ] προς κήρυ[κος…] (1. 5-6). Le cortège se dirigeait sans doute vers le bord de la mer, comme nous l’avons vu plus haut. Là devait avoir lieu l’incinération du corps : le cadavre était brûlé sur un tas de branches mortes, et à la fin de la cérémonie, les cendres du pharmakos étaient jetées dans la mer.

Pour le texte complet, sur le portail Persée : ici