La réciprocité, c’est le mal. Girard, Mauss, le don et l’amour,
un article de Philippe CHANIAL,
publié dans la Revue du MAUSS,
dans son volume 55, no. 1,
en 2020, de la page 199 à la page 226.

Philippe Chanial ouvre la discussion :
« L’hypothèse qui guide cet article est que si Girard passe à côté du don et de toutes les formes de réciprocité positive, fasciné qu’il est par ses formes négatives, c’est parce que sa théorie du désir mimétique lui interdit de faire toute sa part à la délicatesse des relations interhumaines. Et notamment à la relation amoureuse. »
L’article de Philippe CHANIAL commence ainsi :
« Quant aux échanges, ils ne doivent pas apparaître pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire réciproques : telle est la loi du vivre ensemble. L’existence n’est vivable que si la réciprocité n’apparaît pas. » René Girard, Celui par qui le scandale arrive
« C’est ainsi que le clan, la tribu, les peuples ont su – et c’est ainsi que demain, dans notre monde dit civilisé, les classes et les nations et aussi les individus, doivent savoir – s’opposer sans se massacrer et se donner sans se sacrifier les uns aux autres. C’est là un des secrets permanents de leur sagesse et de leur solidarité. » Marcel Mauss, Essai sur le don
L’article de Philippe CHANIAL se termine ainsi :
Néanmoins, ce basculement appelle moins une anthropologie, négative, de notre part maudite qu’un approfondissement de la généreuse anthropologie maussienne dans son attention portée aux pathologies du don et des processus de reconnaissance qu’il induit, aux formes (et causes) sociales et psychiques de la corruption de son cycle vertueux (donner-recevoir-rendre) en cercle vicieux (prendre-refuser-garder) [Caillé et Grésy, 2018 ; Caillé, 2019 ; Chanial, 2011, partie IV]. En outre, que le don puisse ainsi contribuer à contenir la violence et à nous détourner du mal ne signifie pas qu’il devrait être assigné à cette seule fonction. Faire droit à sa dimension érotique n’invite pas davantage à reformuler et à rejouer le « combat éternel » (Freud) entre Éros et Thanatos. Car l’expérience du don, comme l’expérience amoureuse, est aussi celle de relations, de formes de générosités et réciprocités mêlées, qui sont à elles-mêmes leur propre fin et qui virtuellement excèdent toute fonctionnalité [Chanial, 2018]. Et s’y « adonner », parfois même jusqu’à la folie – folie du jeu, de la création artistique, folies de l’amour –, c’est aussi entrer en contact, même de façon fugace, avec le domaine de la grâce [Caillé, 2019].
Dans l’article de Philippe CHANIAL, on trouve notamment :
Le mal de la violence réciproque ne peut être soigné que par le mal d’une autre forme de violence, non réciproque : celle par laquelle le groupe, traversant une « crise mimétique » qui en menace jusqu’à la survie – le « tous contre tous » hobbesien –, désigne une victime émissaire qui passe pour la cause unique du désordre et sur laquelle converge cette rage collective jusqu’à sa mise à mort – le « un contre tous » girardien (…)
Dans l’article de Philippe CHANIAL, on trouve également :
Plus précisément, il y a, selon Girard, un mensonge sacrificiel. Les mythes nous mentent : les victimes sont innocentes. Elles sont, littéralement, des « boucs émissaires » que l’on charge de maux dont elles ne sont pas coupables pour se libérer du mal de la violence mimétique. Et c’est ce que dévoile la Révélation, la « vérité chrétienne ». En révélant, à travers la Passion, le mécanisme victimaire – la mise à mort du Fils innocent –, elle appelle à mettre fin tout autrement à la violence. Elle invite à suivre la voie et le comportement commandé, par le Christ, à imiter le Christ.