Un livre de Jean-Pierre CHEVILLOT,
publié chez L’Harmattan,
en 2004.
Présentation de l’éditeur : « Le désir n’est pas responsable de la violence alors que notre civilisation, dans ses légendes et ses religions, par ses normes morales et sociales, à travers son histoire et la vie quotidienne, fait du désir un bouc émissaire, sacrifié à la violence. Ce sacrifice est censé neutraliser la violence mais lui donne au contraire libre cours. Ce livre offre une réhabilitation et ouvre la perspective d’une philosophie positive du désir qui mise sur le désir pour vaincre la violence. »
Le Sommaire de l’ouvrage :
Prologue 11 /
Désir et sens. 15
Le sacrifice du désir à la violence. 18 / Le désir bouc émissaire. 22 / L’interdit. 26 / L’interdit, barrière de désir. 28 / L’interdit, barrière au désir 31 / Les modes psychiques de sacrifice du désir. 34 / Le sacrifice du désir au surmoi. 35 / Fantasmes du désir et réalité de la violence. 37 /
Le sacrifice originel. 41 /
Adam et Ève, le premier désir 41 / Le mimétisme et la connaissance 42 / La honte de la faute 45 / La marque phallique. 48 / La culpabilisation 50 / Caïn et Abel, la première violence 52 / Désir et violence, deux poids, deux mesures. 54 / La ville fondée par la violence. 55 / Le péché sacrificiel. 56 / La rédemption. 57 / L’interdit 59 /
L’ancien sacrifice 61 /
La sagesse venue d’Égypte. 62 / La philosophie des pyramides 64 / Isis et Osiris. 67 / Akhenaton et Néfertiti 71 / Dieu entre désir et violence. 75 / Un sacrifice biblique. 78 / La violence libérée par le sacrifice. 84 / Moïse dans la Bible 87 / Moïse dans l’histoire. 92 / Le sacrifice platonique du désir 101 / Le sacrifice de Socrate. 102 / Alcibiade et la mutilation des Hermès. 105 / Le fil conducteur sacrificiel. 109 / Le déni phallique 117 / Le nerf et la cuisse. 117 / La Lance et le Graal. 120 / La côte et le côté. 122 /
Le nouveau sacrifice. 123 /
Marie-Madeleine, le désir transfiguré 125 / Le quatrième Évangile. 128 / Les deux onctions 132 / « Noli me tangere » 134 / Le désert 137 / Interprétations magdaléennes 138 / Une approche littérale et factuelle. 140 / Mort et transfiguration du désir. 142 / Représentations magdaléennes. 145 / Peintures magdaléennes 148 / Sculptures magdaléennes. 153 / Écrits magdaléens. 155 / Marie-Madeleine, Notre-Dame de Désir. 159 / L’Évangile selon Marie de Magdala 159 / « Ecce mulier » 160
Le sacrifice profane. 165
Héloïse et Abélard, le désir meurtri 165 / La reconstitution. 168 / La restitution. 171 / Abélard et la jouissance 174 / La mutilation sexuelle. 178 / La mutilation intellectuelle. 183 / La mutilation affective. 185 / Héloïse et le désir 188 / La parfaite amante 190 / La pénitente sans repentance 193 / Entre ciel et chair. 195 /
Sensualité et spiritualité 201 /
La représentation de Parsifal 202 / Kundry et Parsifal. 204 / Harmoniques du désir. 208 / Interprétation 216 / La révélation artistique. 221 / Désir et création. 221 / Camille et Rodin. 223 / Dora et Picasso 228 / La déstructuration du désir 231 / La conversion mystique du désir. 235 / Thérèse d’Avila. 236 / Jean de la Croix 243 / L’ambiguïté mystique 249 / Allégories du désir. 252 / La constitution de l’être désirant. 256 / Le désir entre l’émotion et la raison. 256 / Le désir entre les sens et la foi. 259 / Désir contre violence. 267 / Lignes de partage du désir. 269 / Désir, jouissance et violence 272 / Le désir mimétique inverse. 274 / L’élévation du désir 278
Bibliographie 283
Le Prologue de l’ouvrage (p.12-14) :
Au commencement était l’imitation d’où naquit le désir. Le désir fut un jour mis à mal par la violence de la rivalité mimétique. Le désir fut accusé d’avoir causé cette violence qu’il avait subie. Le désir innocent fut condamné et sacrifié pour que l’ordre règne. La violence continua impunément d’imposer sa loi à l’abri de cet ordre censé la condamner.
Voilà, brièvement résumé, le destin du désir et de ses avatars sur fond de mimétisme que veut illustrer ce livre à travers une série d’exemples pris à travers les mythes, les légendes et l’histoire. Si le désir est si souvent malheureux, ce n’est pas, comme on le croit d’ordinaire, faute de pouvoir atteindre un objet inaccessible, c’est d’être la victime injustement sacrifiée pour conjurer les effets désastreux du mimétisme du comportement humain. Cette histoire est celle du désir sacrifié sur l’autel de la violence. Elle s’intitule « le désir, bouc émissaire », car le désir est bien le bouc émissaire de la violence, une victime innocente sacrifiée à la violence.
Ainsi, depuis les commencements de la société occidentale, le désir est, à tort mais unanimement, considéré comme le fauteur de la violence. Le sacrifice du désir est ainsi censé supprimer la violence. La violence a dès lors libre cours car le désir n’en est pas la cause. La cause de la violence est la violence elle-même. L’humanité a choisi de s’en prendre au désir parce qu’elle n’a pas pu et n’a pas voulu s’attaquer à la violence. C’est la violence qui fait la loi. La violence fait la loi et ne cesse de l’imposer impunément.
Le désir est un état, un état sur le mode de l’être. La jouissance est un acte, un acte sur le mode de l’avoir. La violence est un acte, un acte sur le mode de l’effraction. Il n’y a pas de commune mesure entre l’état de désir, source de vie, et l’acte de violence, signe de mort. L’enchaînement des actes qui conduisent du désir à la violence par jouissance interposée nous paraît inéluctable parce que nous sommes convaincus de la culpabilité du désir. Tout un chacun, dès son plus jeune âge, est confronté au sacrifice du désir. Il apprend à s’en accommoder. Mais il ne s’aperçoit pas que son désir fait office en l’occurrence de bouc émissaire tant il est intimement persuadé que son désir est fautif. Tout est fait pour occulter ce sacrifice à la violence. L’enjeu en est essentiel car c’est du désir que l’être tire sa raison de vivre2 (Jean-Pierre CHEVILLOT, « De l’énergie au désir, du sexe au cerveau, des sens à l’esprit », éditions L’Harmattan, 2001, chapitre 2.)..
Ce livre est comme une galerie de tableaux qui représentent ce sacrifice du désir. Ils ont pour objet de montrer comment notre civilisation s’est construite sur cette base sacrificielle, fondatrice des religions et de la société, quelles en ont été et quelles en sont les conséquences. Ces tableaux vont depuis l’antiquité et le sacré, jusqu’au • monde profane, l’histoire médiévale et l’histoire contemporaine. Avant d’en entamer la visite, il convient d’indiquer le cheminement de leur exposition.
Les deux premiers sont extraits de l’Ancien Testament et le troisième tableau des Évangiles. Le sacrifice originel montre le caractère sacrificiel du péché originel, sacrifice fondateur puisqu’il est au coeur du récit biblique de la création de l’homme et de la femme, aux premiers paragraphes de la Genèse. L’ancien sacrifice apparaît en filigrane du récit de l’Exode et des Nombres. Le nouveau sacrifice est celui de Jésus avec Marie-Madeleine.
Le sacrifice et le sacré ont plus que leur étymologie en commun3. (3 Les deux mots dérivent du latin « sacer » (de la racine indo-européenne sak-). L’enclos sacré est inviolable et la violence y est sacrilège. Ce qui reste en dehors du sacré est littéralement « exécrable » (ex sacer). Le sacrum (pour os sacrum) désigne les vertèbres qui soutiennent les entrailles offertes en sacrifice. Le sacrifice, de « sacer facere », rendre sacré, sacralise sa victime.)
La victime sacrificielle est sacralisée. Ainsi ancré dans le sacré, le destin sacrificiel du désir l’expose à la violence dans le sacrifice profane qui est de tous les temps et dont Héloïse et Abélard offrent un tableau qui n’est pas foncièrement différent de ceux que révèle l’art contemporain.
Entre le sacré et le profane, à mi-chemin du ciel et de la terre, le sacrifice mystique tel que le célèbrent Thérèse d’Avila et Jean de la Croix inspirés du Cantique des cantiques, suggère la possibilité d’une jouissance qui élève le désir au lieu de l’abaisser.
L’enchaînement sacrificiel du désir à la violence se reflète dans le clivage qui sépare la sensualité et la spiritualité. Entre la bête et l’ange, la violence a le champ libre. La réhabilitation et l’élévation du désir dans sa complétude sensuelle et spirituelle, restaurent au contraire la capacité de l’être à lutter contre la violence, lui restitue sa force de vie pour vaincre les forces de mort.
Comme autant de tableaux, ces exemples sont illustratifs et il s’agit chaque fois d’y déchiffrer les signes du sacrifice du désir à la violence. Il s’agit toujours d’analyser des représentations, aussi bien dans le cas des figures mythiques que dans celui des figures historiques de cet ensemble. Qu’il s’agisse des exemples empruntés à l’histoire, à la légende, ou à la religion, il s’agit toujours en définitive de l’idée subjective que l’on se fait de situations toutes profondément marquées par les avatars que connaît le désir depuis que s’est imposé à son encontre le modèle sacré de la violence sacrificielle.
C’est à partir de ses perceptions sensorielles et de ce qu’elles évoquent pour lui que l’être humain construit son désir sur les représentations qu’il se fait de l’environnement avec lequel il interagit. Ce que l’homme perçoit comme réalité n’est pas la réalité elle-même, c’est l’idée qu’il s’en fait et la conscience qu’il en a à travers ces représentations. Les perceptions sensorielles conduisent ainsi aussi bien à des représentations « sensuelles » qu’à des représentations « spirituelles » du désir, inconscientes ou conscientes. Elles vont et viennent des sens à l’esprit. Ceci indique l’importance que revêt la relation entre sensualité et spiritualité pour l’être humain. Ceci explique qu’elle soit au coeur de nombreuses représentations qu’il construit. Les représentations mythiques sont aussi « vraies » pour notre propos que le sont les représentations historiques ou les représentations physiques. C’est l’idée que se sont faite et que se font les êtres humains de leur désir qui importe.
A cet égard, Ève est aussi vraie qu’Héloïse, Marie-Madeleine que Camille Claudel. Leur histoire illustre la quête du désir sacrifié. Cette histoire n’a pas de fin. Le désir est un éternel proscrit.