Achever Clausewitz,
Entretiens avec Benoît Chantre, par René GIRARD,
publié à Carnets nord, 2007.
Le sommaire :
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- La montée aux extrêmes
- Clausewitz et Hegel
- Le duel et la réciprocité
- Le duel et le sacré
- Tristesse de Hölderlin
- Clausewitz et Napoléon
- La France et l’Allemagne
- Le pape et l’empereur
On y lit, page 10 : « Des millions de victimes innocentes ont ainsi immolées depuis l’aube de l’humanité pour permettre à leurs congénères de vivre ensemble; ou plutôt de ne pas s’autodétruire. Telle est la logique implacable du sacré, que les mythes dissimulent de moins en moins à mesure que l’homme prend conscience de lui-même ».
Page 364 : « Du divin est apparu, plus fiable que dans toutes les théophanies précédentes, et les hommes ne veulent pas le voir. Ils sont plus que jamais les artisans de leur chute, ils sont devenus capables de détruire leur univers. Il ne s’agit pas seulement, de la part du christianisme, d’une condamnation morale exemplaire, mais d’un constat anthropologique inéluctable. Il faut réveiller les consciences endormies. Vouloir rassurer, c’est toujours contribuer au pire. »
Page 17 : « Un bouc émissaire reste efficace aussi longtemps que nous croyons en sa culpabilité. Avoir un bouc émissaire, c’est ne pas savoir qu’on l’a. Apprendre qu’on en a un, c’est le perdre à tout jamais, et s’exposer à des conflits mimétiques sans résolution possible. Telle est la loi implacable de la montée aux extrêmes. »
Page 80 : « Nous sommes immergés dans le mimétisme et il nous faut renoncer aux pièges de notre désir, qui est toujours désir de ce que l’autre possède. »
Page 221 : « Dans ce monde où chacun est jugé par ses proches, les modèles sereins n’ont plus de sens. Les médiations sont devenues internes, les modèles sont là, à portée de main. Ils m’envahissent un instant, je pense alors les dominer, et puis ils m’échappent, et ce sont eux qui me dominent. Je suis toujours ou trop loin ou trop proches d’eux : telle est la loi implacable du mimétisme. »
Charles Ramond (« Achever Clausewitz » ? -Catastrophisme et apocalypse contemporains”. Charles RAMOND. René Girard, la Théorie Mimétique -De l’Apprentissage à l’Apocalypse., Paris : Presses Universitaires de France, pp.203-218, 2010) propose un texte comme toujours passionnant. C’est ici
On y lit notamment : « La participation des moyens de communication de masse au catastrophisme contemporain relève d’ailleurs d’une ambivalence plus générale encore : d’un côté, la presse ne se nourrit, ne transmet et ne fabrique, sous le nom d’« événements », que de la catastrophe ; de l’autre, elle freine dans une certaine mesure le catastrophisme qu’elle contribue par ailleurs à accélérer, en produisant à jets continus des boucs émissaires qui ont structurellement pour effet de faire obstacle à la propagation des catastrophes. Pour toutes ces raisons, nous assistons bien à un catastrophisme contemporain assez différent des millénarismes qu’ont pu connaître les siècles passés. »
Une « lecture critique » de l’ouvrage : ici
On y lit notamment : « Le principe mimétique – que Girard a présenté dans d’autres domaines – est valable également pour l’analyse des conflits. La violence actuelle ne produit plus de droit, ne produit plus de vérité, et se révèle à la fois incontrôlable et incapable de structurer l’espace mondial. La violence mimétique ne peut donc que déboucher sur « l’apocalypse », compris ici à la fois comme la double autodestruction environnementale et géopolitique de l’humanité. »
Un compte rendu engagé par Serge Lellouche, ici :
On y lit notamment : « Dans cette absolue polarité mimétique, Clausewitz a bien vu que le déchaînement de violence des guerres modernes est lié à ce fatal entraînement réciproque : «L’histoire ne va donc pas tarder à donner raison à Clausewitz. C’est parce qu’il dit «répondre» aux humiliations du traité de Versailles, que Hitler a pu mobiliser tout un peuple ; à son tour, c’est parce qu’il «répond» à l’invasion allemande que Staline obtient une victoire décisive contre Hitler. C’est parce qu’il «répond» aux États-Unis que Ben Laden organise aujourd’hui le 11 septembre et ses suites (…) (La violence) n’est plus évacuable. C’est cette réalité fondamentale qu’il faut comprendre». Il n’y a plus «agression première», il y a un principe de réciprocité par lequel «l’agresseur a toujours déjà été agressé». Cette loi implacable du duel mimétique est course folle, contagieuse vers l’anéantissement, et la politique (comme la technique et la science) n’a plus d’autre sens que de courir derrière la violence, véritable moteur de l’histoire, qu’aucune institution humaine ne pourra plus jamais contenir : «Les hommes ne parviennent pas à contenir cette réciprocité, parce qu’ils s’imitent beaucoup trop et se ressemblent de plus en plus, et de plus en plus vite». »