Contenus médiatiques à risque et construction identitaire des préadolescents
Article de Sophie JEHEL, SEJED n°11, 2011.
Le résumé :
Certains préadolescents sont engagés précocement dans un goût pour les contenus médiatiques (TV et jeux vidéo notamment) qu’ils considèrent comme violents. Dans les établissements ZEP, ce goût devient majoritaire en sixième. Peut-il faire office de rite de passage ?. Dans les sociétés modernes caractérisées par l’expression de soi, la compréhension de l’autre, la sensibilité, le respect du droit, ces contenus peuvent-ils opérer une intégration des préadolescents aux normes de la société globale ? Le recours systématique à diverses formes de transgression dans des entreprises médiatiques participe plus d’une stratégie commerciale recherchant l’implication des jeunes en s’appuyant sur leur désir d’opposition aux adultes et aux institutions que d’une volonté de les intégrer à la société globale. Certains traits de la construction identitaire des préadolescents amateurs de programmes violents montrent une surexposition aux contenus à risque (qui ont une classification officielle élevée), une normalisation de leur goût, une forme d’intolérance à l’égard de ceux qui ne le partagent pas et un éloignement des dispositions scolaires. Le développement de ce goût risque, à cet âge, de compliquer leur insertion dans la société globale. Les résultats présentés dans cet article sont tirés d’une enquête réalisée auprès de 1142 enfants de CM2 et de sixième, dont 40 % en ZEP, réalisée entre juin 2006 et juin 2007 dans cinq régions de France.
Le texte commence par ceci : « Les préadolescents sont engagés, dès le CM2, dans une exploration intense et personnelle des espaces médiatiques : télévision, jeux vidéo, et même radio ou Internet. Ils y rencontrent notamment des contenus à risque, que l’on définira ici comme des contenus déconseillés aux mineurs de 10 à 13 ans selon les évaluations officielles disponibles. Le propos de cet article sera centré sur les élèves de CM2 ou de sixième les plus investis dans le goût pour les contenus qu’ils trouvent violents, parmi lesquels se trouve une forte proportion de contenus à risque. Leur construction identitaire diffère-t-elle de celle des autres ? Ces préadolescents murissent-ils plus vite et intègrent-ils plus tôt les normes de la société globale ? Développent-ils au contraire un positionnement spécifique ? »
Le texte se conclut par ceci : « En ce sens, cette normalisation du goût pour la violence médiatique contient le risque d’un enfermement identitaire, au moins temporaire, en particulier pour les préadolescents de milieu populaire en sixième en ZEP. Nous avons montré que ce goût surexpose les amateurs aux contenus à risque, renforce le décalage avec les normes sociales que constituent les systèmes de classification et s’accompagne d’une distanciation vis-à-vis de l’école. En valorisant l’acquisition des prémices d’un « capital guerrier », il suscite chez les préadolescents des identifications éloignées de l’esprit de compréhension des sociétés modernes. Flattant un désir de toute-puissance, les contenus à risque entretiennent une identité sociale ambivalente, vis-à-vis des valeurs de la modernité, de l’État de droit et de l’institution scolaire, à un âge où les préadolescents ont du mal à en maîtriser les codes. Loin de constituer un rite de passage intégrateur, ce goût risque de compliquer leur insertion dans la société globale. »